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Commentaire critique du livre de Adrien Candiard et d'une tribune de Koz sur le Pape


J'ai voulu prendre connaissance d'un livre récemment paru aux éditions Flammarion, d'un jeune dominicain. Déception pour le moins ...
Voici la critique de son livre ainsi que d'un de ses articles qui expose ses raisonnements sur le sujet.
Ce prêtre approuve une tribune de Koz, que je trouve également porteuse de logiques défectueuses.
Sur la notion d'essentialisation, je rappelle mon article " Esssentialisation et islamophobie, même sophisme  "
http://www.gaucherepublicaine.org/_archive_respublica/2,article,1534,,,,,_Essentialisme-et-islamophobie-meme-sophisme.htm
http://sepharade2.superforum.fr/t6628-essentialisme-et-islamophobie-meme-sophisme-elisseivna

ci dessous aussi réponse à son interview dans le figaro


CRITIQUE DU LIVRE


A propos du livre de Adrien Candiard «  Comprendre l’islam ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien » Champs Actuel Flammarion 2016.

Mon   énervement commence par le sous-titre et son ambiguité «  pourquoi on n’y comprend rien ».  Il pourrait vouloir dire : mais voilà les moyens de comprendre, du moins d’y comprendre quelque chose, au moins autant que les savants musulmans eux-mêmes, qui s’arrêtent modestement là où « dieu sait mieux ».

Il peut vouloir dire aussi, que l’on ne peut « rien » y comprendre, du moins pas l’essentiel. Et c’est bien cette perspective là qui est presque aussitôt assénée : circulez y a rien à voir, ne cherchez pas l’essence de l’islam.

Précisons, j’ai bien compris : c’est une « erreur » « de croire qu’il n’existe pas ». Il existe, mais il n’a pas d’essence et il ne faut pas « l’essentialiser »…
… sous peine de :

1         « croire d’abord que les musulmans ne sont que musulmans » (p19): et allons-y : Marcuse et l’homme pas unidimensionnel, connait pas, et chercher une « essence » de l’islam, (les éléments essentiels de la doctrine islamique),  ce serait la plaquer sur les musulmans contraints de s’enfuire pour ne pas finir aplatis en « Toons »….

2         Adopter l’interprétation salafiste et ignorer les variantes culturelles et théoriques de l’islam :
Par exemple au sujet du djihad, « trouver que le salafiste aurait raison, parce qu’ainsi au moins nous serions fixés » (p24), alors que pour le professeur, maître de ses peurs, entre les différentes versions sur ce sujet, « qui a raison ? bien malin qui peut le dire »

3         Proférer différentes inepties utilisées pour dénigrer l’islam :  il serait littéraliste et il interdirait l’interprétation et l’adaptation (ijtihad), parce que le texte du coran est censé venir de dieu, il exclurait la raison, il interdirait la diversité de règles dans la voie de dieu, il confondrait totalement politique et religieux …

Ce sont effectivement des inepties trop répandues dans des discours caricaturant l’islam, et dont la première est très drôle à entendre quand on est juif :
en fait évidemment le contraire exactement est vrai : c’est parce que le texte vient de dieu qu’il contient jusque dans sa forme et le choix des mots et des lettres, des significations à déchiffrer, rechercher, des messages dans le message, dans certains cas difficilement et dans le temps par les humains …

L’islam sur lequel les musulmans s’accorderaient serait réduit à :
-          la profession de foi : « « croire qu’il n’y a qu’un dieu et que Mahomet est son prophète
-          « que le Coran témoigne d’une manière ou d’une autre de la volonté de Dieu pour les hommes,
-          qu’un Jugement divin nous attend au dernier jour.
-          Ajoutez la croyance aux anges et c’est à peu près tout. » (p 23)

Et il faudrait renoncer à chercher «  une essence éternelle et stable » de l’islam (p21).

D’ailleurs il n’y aurait pas de raison fondamentale de s’inquiéter puisque :

-          « Un juriste classique vous dira … le plus souvent que le jihad est défensif » (p24)
-          L’islam est compatible avec la démocratie puisqu’il est compatible avec la séparation du politique et du religieux et l’adoption de lois civiles « instituées par des procédures non religieuses »
L’auteur conclut sur un espoir fondamental : «  il existe dans la tradition musulmane une radicalité plus profonde, plus authentique, qui peut être, comme le proposent certaines voies musulmanes, une radicalité spirituelle : la recherche de Dieu en soi, la rencontre de Dieu dans la prière personnelle plutôt que dans l’attentat suicide … »
La vision que l’auteur a de la démocratie est fausse. Dans la démocratie la loi vient du peuple. Dans l’islam le législateur est : Dieu. Quand le calife exécute les lois défini par les oulémas, il a une forme de séparation du religieux et du politique, mais pas de démocratie. Dans les « démocraties » islamique, le peuple ne peut choisir que dans les bornes des lois édictées par Dieu. Et quand il s’en éloigne ou quand un monarque «libéral » s’en éloigne, des révolutions de plus orthodoxes viennent renverser les « dictateurs ».
Mais le plus grave n’est pas là. Il est dans la description des caractères « essentiels » de l’islam,  caractères non pas « éternels » mais existant depuis sa création, reconnus par tous les musulmans. L’auteur oublie la loi islamique, le fait que la loi islamique :
-          A un contenu précis défini, (même s’il est largement discuté), et non pas seulement un objectif,
-          Et est juridique, c’est-à-dire destinée à s’imposer par la force.
Or c’est à cause de ce contenu qui fait partie du cœur nucléaire de la doctrine islamique, qu’aucun musulman ne conteste sérieusement, théoriquement, que l’islam est dangereux.
Il y a des musulmans qui veulent la laïcité, mais aucune proposition théorique convaincante ne fait reposer cette idée sur les textes. D’où la persistance du danger, la persistance de la volonté des musulmans observants d’imposer la loi islamique par la force.

Ce livre occulte ce problème majeur. Evidemment, ce faisant, et montrant les travers ridicules en effet de certaines critiques de l’islam, il est bien accueilli. Mais il est profondément trompeur et donc scandaleux.


UN ARTICLE de Adrien Candiard et mes observations 

L'article : 

Ma critique :

Ce que je trouve insupportable dans son attitude en tant que doctorant, est qu’il empêche toute possibilité de légitime défense, adaptée à la situation, en commençant par obscurcir la connaissance du réel. Connaissance qui est la condition de prise de décisions justes et efficace, préservant les vies.

Il est dans un « dialogue » qui n’aboutit qu’à paralyser les décideurs européens, et fait en définitive prévaloir toutes les demandes musulmanes, à commencer par l’accès au territoire, y compris les plus risquées pour la vie des européens.

Est-ce qu’il n’a aucun esprit de synthèse ou n’a lu aucun des auteurs qui présentaient des synthèses et des classifications des systèmes de pensée ?

 Cf: le professeur René David, auteur du classique « grand systèmes de droit contemporains » chez Dalloz, parle des trois droits religieux : juif, musulman et hindou. 

Droit + unicité + application universelle = guerre. Dans le droit juif il n’y a pas l’application universelle et dans le droit hindou il n’y a pas l’unicité.

La connaissance de la complexité n’a jamais interdit l’esprit de synthèse, la recherche des caractéristiques  principales, des distinctions déterminantes et des classifications de systèmes de pensée (tout en reconnaissant exceptions et particularités individuelles). 

Sauf à rester dans une pose précieuse d’observateur qui paralyse toute possibilité de prise de décision adaptée en taxant les décideurs de simplification abusive. Une pose pédante post-moderne qui refuse de voir un sens autre que celui apparaissant dans chaque esprit individuel.

Cette pose là, avec ce jugement clairement exprimé de condamnation d’une supposée « essentialisation », mot signifiant racisme depuis Pierre-andré Taguieff, est insupportable.

Ce que je trouve être un point essentiel dans l’attitude des premiers chrétiens était précisément de poser clairement publiquement l’existence d’une discordance radicale de vue, et non pas de l’occulter pour avoir la paix et ne pas se donner le mauvais rôle du critique.  

« On vous a dit cela, je vous dis cela. Je sais le sens de ce que l’on vous a dit.  Mon propos n’est pas le même, pas pareil, il dit même le contraire. » 

Occulter le problème de la doctrine islamique sous prétexte qu’on n’y pourrait rien comprendre, est précisément le contraire de cette attitude.

Dans cet article Adrien Candiard accentue obscurciement et condamnations, en perdant cette fois au contraire tout esprit de nuance et de distinction et de discernement … :  il dit qu’il ne faut pas refuser les refugiés mais il faut refuser les identitaires, qu’il faut condamner l’idée qu’il serait impossible d’être européen et musulman.

Or il faut refuser l’aide aux réfugiés « n’importe comment » sans souci de sécurité. Si,  Il EST impossible d’être européen et musulman observant, cela ne le sera que quand l’europe aura été conquise par l’islam. Les identitaires sont certainement le contraire de chrétiens intégrals, mais s’ils sont les seuls à s’occuper de légitime défense , leur action est peut être plus juste que celle de chrétiens qui laissent des innocents sans défense.

Il faut aussi distinguer rencontre et négociation. On peut rencontrer tout le monde, nous cotoyons au quotidien tout le monde dans la vie courante, mais avec des gens pour qui il n’y a jamais de « paix » tant qu’ils n’ont pas obtenu « la » justice qui ne peut se distinguer de l’application intégrale de leurs normes, seules justes, la négociation est un leurre, elle ne peut être que piège et moyen de manipulation et de pression.

C’est presque drôle de trouver les mêmes défauts, snobs et creux, que ceux du discours « genre » dans les écrits d’un prêtre.


L'ARTICLE DE KOZ SUR LE PAPE 

La tribune :
Le pape n’est toujours pas un chef de guerre
Ma critique : 
Le choix n'est pas entre identitarisme et chrétienté, entre guerre et mensonge ou entre guerre et confusion, le choix est entre se décider à comprendre comment empêcher réellement la poursuite de la guerre actuelle, ou rester dans l'autosatisfaction et la paresse. 

La confusion et l'ignorance sur l'islam créent les conditions de la guerre, des guerres, et c'est contre la confusion et l'ignorance que tous les chrétiens devraient d'abord se mobiliser intellectuellement, mentalement, au lieu d'accuser identitaires ou autres. 

Koz prête au Pape une clarté qu'il n'a pas en fait, et devrait avoir, et en plus il en rajoute lui meme dans les confusions ...(!). 

Accuser les identitaires non plus n'empêche pas la guerre. 

Toutes nos erreurs et ignorances sur l'islam (entre autres données de la guerre) créent et renforcent les conditions du jihad et du terrorisme, car " à un contre 2 sinon deux cent vous vaincrez PARCE QU' ILS NE COMPRENNENT PAS." !

Je pense comme le "fils du Hamas", devenu chrétien d'ailleurs, : " Quand le chef du monde libre dit que l'islam est une religion de paix, il crée le climat pour créer plus de terrorisme - je voudrais pouvoir dire des choses plus gentilles, mais je viens de l'enfer !" Mosab Hassan Youssef

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COMPLEMENT SUR LE LIVRE DE A. CANDIARD : 

Il passe à côté de l'essentiel qui est l'aspect juridique de l'islam, correspondant l'adoration de la force et la vision d'un dieu qui aime la force et la mort dans l'islam, ce que l'on peut voir dans n'importe quel ouvrage de droit comparé ...

et 2- qu'il rentre dans le jeu de la censure islamique, de la guerre judiciaire et politique des militants de l'islam en utilisant le concept d'"essentialisation", qui est un outil d'accusation de " racisme", et un moyen de faire condamner pour "incitation a la haine raciale", c'est donc TRES grave judiciairement,

et 3 – je lui reproche de décourager de comprendre l'islam, ce qui est extremement grave, car c'est vrai qu'il faut du temps, mais pas des siècles tout de meme,

et il est parfaitement FAUX de dire qu'il y a tout et son contraire dans l'islam sur tous les sujets, alors qu'en fait, il y a des principes essentiels cohérents, et en marge, sur certains points des vues sectaires,
mais il est possible, EN AYANT lu les textes reconnus par tous les oulemas (ou presque...) de distinguer ce qui est coherent avec les principes essentiels et ce qui ne l'est pas,

les Mormons sont chrétiens et (étaient) polygames, mais n'importe quel lecteur d'Isaie et des évangiles et de Paul peut voir que leur justification de la polygamie sur l'ancien testament est tordue, de même, tout, absolument tout, dans le coran, les sunna de Muslim, Bouhkhari, la sira de Ibn ishaq, ibn isham, les principes d'interpretation communs aux ecoles, l'histoire de Tabari ensuite :
tout confirme que le jihad est un devoir jusqu'a la conquête totale de la terre par la oumma,

et la différence, d'après ce que je comprends, essentielle entre islam et christianisme (comme judaisme), est que l'islam fait comme si dieu n'avait pas DEJA TOUT pouvoir matériel sur l'univers, alors que pour le christianisme ou le judaisme, dieu a tout pouvoir, de créer, de faire le déluge, d'envoyer les légions d'ange sauver son fils, mais le seul pouvoir qu'il n'a pas (pas entièrement) est de changer le coeur de chaque homme ou femme, puisqu'il a donné la liberté ...
c'est cette différence qui fait que tout le rapport a la force et au politique change ...


 J'ai dit que je trouve le livre d'Adrien Candiard scandaleux, en fait, je trouve CRIMINEL , quand on est un jeune religieux qui n'a que cela à faire, quand on est prêtre, de DESINFORMER à ce point et le Pape et ses confrères, c'est terrible !!!

-----------  INTERVIEW DANS LE FIGARO

MON COMMENTAIRE : 

Cet article comprend deux idees majeures ... surprenantes :
1- la norme violente ne serait pas "originelle" dans l'islam mais serait un fantasme des "salafistes" s'opposant à une tradition pacifique : 
ainsi les batailles menées par le messager relatées dans le coran seraient des fantasmes ? les conquêtes de la Mecque puis des premiers califes dits bien guidés seraient des fantasmes ? tous les historiens ont tous faux...?
Les théologiens de l'islam "classique" qui (quasi) tous reconnaissent comme source la Sunna "la tradition", avec ses récits détaillant les prescriptions violentes, seraient aussi ceux qui auraient pacifié l'islam (je n'ai pas bien suivi ...?)
2 - selon le coran le législateur est dieu, quel que soit l'organisation du régime politique meme quand le calife mentionné par le coran est remplace par une forme "démocratique" (cf Iran): il n'y a donc pas de séparation reelle du politique et du religieux, comme il peut y en avoir dans un royaume catholique ou le roi est inspiré eventuellement, mais ne sort pas la loi des evangiles ou il n'y en a pas de toute façon.
3- l'idée que l'interprétation des personnes est majeure ...
bien sur mais c'est demander beaucoup aux "interpretes", surtout quand on sait que l'enfer leur est promis s'ils se detournent des ordres donnés, en fait, c'est une injustice de leur en demander autant, au lieu de leur dire : ecoutez vos sentiments humains. 
Les musulmans ne sont pas aidés par leurs textes, leur histoire le montre, leur demander de résoudre la quadrature du cercle d'en tirer une loi pacifique ne me parait pas être tres charitable, je trouverais plus charitable de dire combien l'on comprend la difficulté ou ils se trouvent, de reconnaitre la bonne volonté de ceux qui la prouvent etc. Comprendre, au lieu de nier, la situation réelle de l'autre.

L'ARTICLE :  


«Le salafisme fantasme l'islam originel contre la tradition musulmane»


FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - L'islamologue Adrien Candiard propose une analyse nuancée de la crise qui traverse le monde musulman. Selon lui, le monde sunnite est divisé entre une version à la fois moderne et intolérante de l'islam - le salafisme - à un islam traditionnel nettement plus à l'aise avec la diversité.

Adrien Candiard, frère dominicain et membre de l'Institut dominicain d'études orientales (Le Caire), est islamologue. Il est notamment l'auteur de En finir avec la tolérance? Différences religieuses et rêve andalou (Paris, PUF, 2014) etComprendre l'islam. Ou plutôt: pourquoi on n'y comprend rien (Paris, Flammarion, 2016).»

FIGAROVOX - L'irréductible diversité de l'islam sert souvent d'argument pour mettre hors de cause le fait religieux. «Ce n'est pas l'islam» est un leitmotiv qu'on entend à chaque fois qu'une action déplaisante est commise au nom de l'islam. D'autre part, on assiste à une réduction qui consiste à considérer l'islam comme intrinsèquement violent. Comment échapper à ce double écueil?
ADRIEN CANDIARD - En période troublée, on cherche des réponses simples. Il faut pourtant admettre que l'islam - religion qui a quatorze siècles d'histoire, sur des territoires immenses, et qui compte aujourd'hui plus d'un milliard de fidèles dans des cultures très différentes - est une réalité complexe. Complexe ne veut pas dire incompréhensible, mais impossible à réduire à des formules paresseuses: «L'islam, c'est la paix», «l'islam,
L'islam offre une disponibilité à un usage violent. Cela ne fait pas de l'islam une religion violente par nature, car avec ces données, de très nombreux courants, nullement marginaux, ont pu et peuvent encore vivre un islam pacifique.
c'est la violence»… Des formules qui n'aident pas à comprendre, parce qu'elles réduisent l'islam à une de ses dimensions, un de ses courants, voire une de ses caricatures. L'islam n'a pas un «vrai» visage: il en a plusieurs, et nous n'avons pas à choisir celui qui nous convient. Ne pas reconnaître cette diversité et disserter sur la nature de l'islam en général, c'est en fait se contenter chercher la confirmation de ses propres aspirations, de ses arrière-pensées politiques ou de ses angoisses ; cela ne nous apprend rien sur l'islam.
Certains renvoient dos à dos la violence islamique et la violence d'autres religions. L'islam est-elle une religion spécifiquement violente? Cette violence est-elle à chercher dans le Coran, ou bien sa racine se trouve-t-elle ailleurs?
Chaque religion a ses propres défis par rapport à la violence. Dans le cas de l'islam, la difficulté tient d'abord à l'ambiguïté des sources à cet égard: on trouve, dans le Coran ou les hadiths, des appréciations très différentes de la violence - d'où d'ailleurs notre désarroi. Ces textes réclament donc une interprétation, et ils ont pu être, dans la tradition musulmane, interprétés de manières très différentes. De plus, l'imaginaire lié à l'islam primitif n'est pas un imaginaire non-violent. L'islam offre une disponibilité à un usage violent. Cela ne fait pas de l'islam une religion violente par nature, car avec ces données, de très nombreux courants, nullement marginaux, ont pu et peuvent encore vivre un islam pacifique. Tout texte appelle une interprétation, spécialement un texte religieux, et même ceux qui prétendent qu'il ne faut pas interpréter ne font en fait pas autre chose ; or l'interprétation est un acte éthique, qui engage la responsabilité de l'interprète. Le croyant n'est pas seulement le jouet d'un texte ou d'une tradition ; la violence peut être favorisée par un contexte, mais elle est d'abord un choix.
Vous écrivez que le schéma occidental hérité des Lumières, qui oppose la modernité rationnelle à l'obscurantisme de la Tradition est inopérant en ce qui concerne l'islam. Pourquoi?
La crise que traverse aujourd'hui l'islam, dont nous subissons les conséquences, ne nous est pas opaque seulement parce que nous connaissons mal cette religion ; c'est aussi que nous appliquons spontanément une fausse grille de lecture. On demande un islam moderne, donc forcément ouvert, contre la tradition nécessairement obscurantiste, alors que le conflit de légitimité très violent auquel on assiste oppose justement une version à la fois moderne et intolérante de l'islam - le salafisme - à un islam traditionnel nettement plus à l'aise avec la diversité. Tous les terroristes d'aujourd'hui sont issus de cette réforme moderne de l'islam qu'est le salafisme.
Le conflit de légitimité très violent auquel on assiste oppose justement une version à la fois moderne et intolérante de l'islam — le salafisme — à un islam traditionnel nettement plus à l'aise avec la diversité.
Le salafisme, loin d'être un mouvement conservateur, est un mouvement rejetant toute la tradition islamique?
Le salafisme naît du constat que l'islam sunnite traditionnel, celui des califes et des sultans, des juristes et des théologiens, des philosophes et des soufis, a échoué face à l'Occident. Si ce dernier a pu imposer sa supériorité dans tant de domaines, c'est nécessairement que les musulmans ont été infidèles à la vraie religion. Le salafisme est donc une tentative de retour, contre des siècles de tradition, à une origine fantasmée et reconstruite. C'est un refus de l'islam des parents et des grands-parents, un refus de l'islam classique et de ses formes populaires, au nom d'un très hypothétique islam des premiers ancêtres. Dire que le salafisme exprime la vraie nature de l'islam, c'est donc affirmer que les musulmans ne l'ont pas comprise pendant treize siècles! C'est aussi tomber dans le panneau du discours salafiste, croire qu'il exprime réellement l'islam originel.
On emploie souvent le terme «islamisme» pour qualifier toute forme d'islam fondamentaliste. Ce terme vous parait-il approprié? Quelle distinction apporteriez-vous?
On a forgé ce mot pour désigner des formes jugées extrémistes de l'islam, et la distinction entre islam et islamisme sert couramment — à juste titre — à éviter de faire porter le poids de la violence et du terrorisme à des millions de musulmans qui n'ont rien demandé. Toutefois, l'islamisme est un fantôme: personne ne s'en réclame. Ce qui existe, ce sont au moins deux types de mouvements très différents, que nous regroupons sous ce vocable alors qu'ils n'ont rien de commun. Il y a d'une part l'islam politique, représenté en particulier par les Frères musulmans, dont le but est de prendre le pouvoir pour appliquer dans un cadre politique moderne les normes d'une morale religieuse rigoureuse. D'autre part, le salafisme, qui n'est pas d'abord politique, entend créer une société différente, une contre-société dont le modèle est la communauté musulmane primitive de Médine. Ces mouvements n'ont ni les mêmes buts, ni les mêmes cadres de pensée, et ils ne touchent pas les mêmes personnes.
Une chose qui effraie dans l'islam est l'absence supposée de distinction entre religieux et politique. Est-ce une réalité dans l'islam historique? L'islam peut-il s'accommoder de cette distinction essentielle à la démocratie?
Cette impossibilité, en islam, de distinguer religion et politique est une aberration au regard de l'histoire, qui s'explique par l'adoption — parfois par des gens qui ne le soupçonnent pas — des thèses des salafistes, avec leur mépris souverain pour l'histoire. Les grands empires musulmans ont tous été traversés par cette distinction effective: le calife, figure censée incarner les deux dimensions, a été la plus grande partie du temps privé et du pouvoir politique, au profit de militaires (sultans, émirs…), et du pouvoir religieux, au profit du corps des ulémas. Avec la chute de l'Empire ottoman, après la Première Guerre mondiale, devant l'effondrement des cadres traditionnels, de nombreux musulmans entendent repenser le rapport du religieux et du politique. C'est le moment où se créent les Frères musulmans, en Égypte en 1928 ; c'est le moment où se structure la pensée salafiste ; c'est aussi le moment où un sheykh d'al-Azhar, Ali Abderraziq, qui n'a rien d'un admirateur de l'Occident, publie en 1925 un petit livre (L'islam et les fondements du pouvoir) où il exprime sa conviction, argumentée en théologie musulmane, que la révélation coranique ne dit strictement rien de l'organisation politique. Les débats du monde arabo-musulman sur la démocratie naissent dans cette période d'effervescence intellectuelle, où l'islam sert de référence à des positions bien différentes. Nous n'en sommes, à bien des égards, pas encore sortis. Pour comprendre les difficultés de la démocratie dans le monde arabe en particulier, il faut ajouter l'héritage complexe des colonisations, les illusions du nationalisme militaire et du socialisme tiers-mondiste, le retard de développement… La théologie n'est donc pas absente dans ces difficultés, mais en faire porter le poids à un islam intemporel, essentiel, c'est faire preuve à la fois d'amnésie historique et de naïveté.
Finalement, au-delà même de la violence religieuse, c'est la question des mœurs qui semble poser problème. La question de l'égalité hommes/femmes, à ce titre est cruciale. Y a-t'il une incompatibilité entre cette vision islamique du rapport homme/femme et la vision chrétienne, devenue occidentale?
Religion et culture s'influencent réciproquement, mais la culture n'est pas l'application d'une théologie. Identifier par exemple, sur l'égalité entre les hommes et les femmes, la vision chrétienne et la vision occidentale semble un peu rapide: qu'on trouve à l'extraordinaire bouleversement du statut de la femme en Occident depuis un siècle des racines théologiques chrétiennes est vraisemblable (l'égalité étant par exemple affirmée dès les lettres de Paul), mais de là à canoniser la libération sexuelle ou la contraception, qui font partie aujourd'hui du modèle occidental, il y a un grand pas! La théologie influence la société, mais elle s'adapte aussi à elle. Ainsi, quand on se demande par exemple si le voile islamique est vraiment une prescription du Coran, la réponse est non ; non parce que le Coran serait plus libéral, mais au contraire parce qu'apparemment, il vient d'un monde où les femmes ne doivent même pas sortir de chez elles. Le voile est donc une adaptation bien plus tardive, un moyen pour les femmes de sortir, de participer à la vie publique, tout en restant symboliquement à distance. On peut juger cette évolution insuffisante ou dérisoire, mais non pas la nier: l'islam ne présente pas un modèle éternel que l'histoire n'influencerait pas. Et surtout, ces questions demandent de faire la part des traditions culturelles, très diverses d'un pays musulman à un autre, de l'héritage familial, des pressions
Il y a urgence à replacer le débat à ce niveau: celui de la discussion rationnelle. On ne résoudra pas la crise que traverse l'islam sunnite à la place des musulmans, ni en leur dictant ce qu'ils doivent croire.
contradictoires, des hormones… La théologie n'est pas tout!
«L'urgence est à la théologie, une théologie capable de proposer un islam apaisé avec sa tradition comme avec les questions du temps présent ; un islam dont il n'est pas possible, à l'avance, de décrire les contours.», écrivez-vous pourtant. Pourquoi la théologie vous semble-t-elle importante dans le cadre d'une réforme de l'islam? Est-ce à dire que le clergé musulman a un rôle primordial dans l'apaisement de l'islam?
La théologie n'explique pas tout, mais nous avons tous — musulmans, chrétiens, agnostiques, athées — un besoin urgent de théologie. Pas de catéchisme, mais de théologie, cette appréhension rationnelle et académique des contenus de la foi, que la France a exclue de l'Université à la fin du XIXe siècle. Cette exception française explique en partie notre désarroi, croyants ou non croyants, devant les phénomènes religieux, que nous ne sommes pas armés pour comprendre ; plus dramatiquement, cela rend aussi les jeunes plus manipulables par des discours religieux aberrants. Une religion n'est pas seulement un folklore et des traditions. Si l'on s'en tient là, la religion n'est plus qu'une question d'identité, et toute discussion devient impossible: au mieux, on se tolère, et au pire on se combat. Une religion, ce sont aussi des convictions, des opinions, des idées. Il n'y a pas seulement un fait religieux, mais également une pensée religieuse, des pensées religieuses. Il y a urgence à replacer le débat à ce niveau: celui de la discussion rationnelle. On ne résoudra pas la crise que traverse l'islam sunnite à la place des musulmans, ni en leur dictant ce qu'ils doivent croire. Mais on peut les aider en plaçant le débat au bon niveau, plutôt que par des polémiques estivales dérisoires.